C’est quoi notre problème avec la prostitution en France ?

A l’occasion de la sortie de « Vilaines filles » (ed. Anne Carrière) de l’auteure et journaliste Pauline Verduzier, une enquête sur les travailleuses* du sexe en France et à l’étranger, nous avons voulu en savoir plus sur ce qui nous dérangeait sur l’exercice de ce métier dans l’hexagone.

La prostitution ne rentre dans aucune case professionnelle

Si en Suisse ou en Belgique, le cadre juridique délimite et norme la façon de pratiquer le travail sexuel, la France ne permet par l’exercice serein de la prostitution : les clients risquent une lourde amende en cas de contrôle, la déclaration de revenus est bancale, et tout accompagnement dans la profession (logement, création de site internet, etc.) peut-être perçu comme du proxénétisme. C’est ce qu’on appelle le néo-abolitionnisme. Comme le déplore Pauline Verduzier, cette absence de reconnaissance légale et sociale a de lourdes conséquences sur la sécurité des travailleuses du sexe : « En France, et en particulier durant la crise sanitaire, les prostituées s’exposent à des négociations au rabais de leurs pratiques sexuelles ou à des violences de la part de la clientèle… et il est très difficile pour elles d’imposer leurs conditions. En Suisse, par exemple, où la législation autorise la prostitution, le rapport avec la police est plus simple. Les travailleuses du sexe se sentent plus légitime à déposer plainte ou à revendiquer leurs droits.« 

Un rapport de force entre le client et le travailleur mis à mal, que l’auteure du livre explique notamment par les visages parfois stéréotypés que l’on pose sur les travailleurs et travailleuses du sexe en France.

Escort ou esclave ?

« En France, on se représente, dans les grandes lignes, deux archétypes de la prostitution. Soit une figure très glamour, « l’escort de luxe » ou alors une esclave sexuelle, victime de la traite. Entre ces deux figures, la nuance n’existe pas et pourtant, il y a beaucoup d’autres réalités. On a un regard binaire sur les travailleuses du sexe qui en fausse notre perception. » explique Pauline Verduzier.

Une législation française néo-abolitionniste qui pourrait donc, selon l’auteure, se faire l’écho d’une analyse simpliste et stéréotypée, qui ne colle pas avec la réalité de terrain, en particulier de celle qu’elle a observée.

La France admet également cette singularité, celle de stigmatiser les travailleuses du sexe tout en acceptant de façon tacite les échanges économico-sexuels dans les processus de séduction entre les hommes et les femmes.

La galanterie à la française, le premier pas du travail sexuel ?

A travers son essai, Pauline Verduzier questionne également les rapports économico-sexuels consentis ou imposés qui ont jalonné son expérience de femme et qui ne sont pas assimilés à de la prostitution. Entrée gratuite en boîte de nuit contre quelques discussions, rencontres sur des applications sans lendemain sans que le sexe ne soit clairement évoqué comme l’objet de la rencontre… en France, l’ambiguïté et les non-dits économiques (« c’est à l’homme d’offrir un verre ou le dîner ») et sexuels dans les rapports entre les hommes et les femmes sont parfois culturellement encouragés, rendant périlleux l’imposition de ses « propres conditions » et de l’usage de la négociation.

« Je déteste la dimension tacite, non dite et soi-disant érotique dans la relation hétérosexuelle. (…) Par orgueil, il préfère la satisfaction de baiser une jeune femme de dix ans de moins que lui contre un dîner et un Uber, pour, surtout, ne pas avoir à « payer » du sexe pour de vrai.(…) Je me serai davantage sentie respectée en étant vraiment payée pour ce moment de corps-à-corps. » peut-on lire, en conclusion d’une anecdote personnelle, dans l’ouvrage.

Et si ce qui nous faisait peur, dans la prostitution, c’était le pouvoir de négociation de celle qui « se fait baiser » ?


*L’auteure a porté ici son étude sur les femmes dans le travail du sexe, c’est pourquoi nous n’en parlerons dans l’article qu’au féminin, bien que l’exercice puisse concerner les hommes comme les femmes.

(Image à la une : « Vilaines Filles » – Pauline Verduzier – éditions Anne Carrière – collection Sex Appeal)