Élection présidentielle : le féminisme, un sujet délaissé ?

Le second tour de la présidentielle se jouera ce week-end entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Bien des sujets ont été abordés au cours du grand débat d’entre deux tours mais un sujet a semblé être éclipsé : le féminisme.

Des candidats féministes ?

Une étude menée par l’Ifop entre le 11 et le 13 avril 2022 vient éclairer sur le sujet.

A la question « Diriez vous que tel candidat est féministe » :

• 49% des Françaises ont répondu : Oui pour Marine Le Pen (13% considèrent qu’elle serait « très féministe« )
• 30% des Françaises ont considéré Emmanuel Macron comme féministe avec seulement 4% le trouvant « très féministe« 

Si Emmanuel Macron semble bien loin de l’idéal féministe, Marine Le Pen ne fait pas non plus figure d’autorité sur la question.

49% des Françaises la considéreraient comme féministe soit un peu moins de la moitié, alors que Marine Le Pen est une femme et part donc avec un avantage sur la question : car sur le principe, qui de mieux qu’une femme pour représenter les femmes ?

Pourtant, pour 51% des Françaises, la corrélation Marine Le Pen et féminisme ne se fait pas. Pire, pour 31% des sondées, une élection de la candidate d’extrême droite signifierait une menace pour le droit des femmes.

Pourquoi les deux candidats ne semblent pas représentés dans l’électorat féministe ?

Les raisons du rejet ?

Exemple récent mais assez probant : le grand débat d’entre deux tours.

Cet échange des programmes aura duré quasiment 3h en abordant divers sujets comme l’écologie, le chômage, les salaires, les retraites, l’insécurité, etc. Tant de sujets importants qui ont masqué un thème primordial : le féminisme.

Alors, si comme Patrick Juvet, vous vous êtes demandé : « Où sont les femmes ? » durant ce grand débat, sachez qu’elles sont esquissées par Emmanuel Macron à travers le féminicide entre les 2h13 et 2h14 du débat. Oui, une minute (avec des interruptions du camp adverse) pour évoquer le sort de beaucoup de femmes assassinées dans le pays par leurs conjoints. Un thème parmi tant d’autres, quid de l’égalité des salaires ou du harcèlement en ligne ? Aucune réponse ne sera apportée au cours du débat, qui aura été bien plus long sur le port du voile que sur les agressions faites aux femmes…

Si les candidats n’ont pas parlé de féminisme pendant le débat, peut-être en ont-ils parlé dans leur programme ?

Les programmes des candidats ?

Le programme de Marine Le Pen

Pour la candidate du Rassemblement National, il existe un livret dédié à la sécurité dans lequel un paragraphe se consacre exclusivement à la sécurité des femmes :

« Des mesures particulières seront prises pour mieux prévenir et réprimer les violences commises à l’encontre des conjoints ou ex-conjoints« 

« Des délais très brefs et les mesures de protection des victimes seront efficaces« 

« La liberté des femmes et des jeunes filles de circuler sans être importunées ou menacées, en jupe ou en robe si elles le souhaitent, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, dans n’importe quel quartier, dans n’importe quel café sera rétablie. »

Un programme qui sur le papier ne choquera personne mais qui semble tout de même manquer de propositions concrètes.

« Des mesures particulières » : lesquelles ?
« Des délais très brefs et efficaces » : pourquoi cela ira-t-il plus vite que maintenant ? Quel dispositif sera mis en place ?
« La liberté des femmes et des jeunes filles [..] sera rétablie » : comment ?

Le programme « féministe » de Marine Le Pen est jonché de « concept opérationnel« . Selon Herbert Marcuse, philosophe, un concept opérationnel ou creux est un mot ou une tournure de phrase qui ne décrit rien et ne peut penser une réalité sociale. Concrètement, il s’agit de tournures de phrases suffisamment vagues pour être acceptées par tous sans avoir la moindre idée de ce qui est proposé.

Exemple : « Je suis pour rétablir la liberté des femmes« . Difficile de s’opposer à cette proposition et pourtant lorsqu’une personne affirme cela, elle ne dit pas ce que serait la liberté des femmes : est-ce l’égalité homme-femme ? Ainsi la candidate tente d’attirer la sympathie des féministes sans rien proposer en retour.

Marine Le Pen ne propose rien de concret dans son programme et cela a peut-être une raison… Lorsque la candidate parle de féminisme, elle se trouve rarement à son avantage. En 2012, elle déclarait vouloir « dérembourser l’avortement » mais alors comment éviter les grossesses non désirées ?  » Par leur intelligence, et leur capacité de prévision, elles ont la possibilité d’éviter de tomber enceintes lorsqu’elles ne le veulent  pas ». Quoi de plus simple que ne pas tomber enceinte pour éviter l’avortement ? Une version rétrograde de la condition de la femme qui explique surement les faibles 49% d’opinion favorable à son sujet…

La candidate du Rassemblement National ne semble donc pas être une candidate féministe mais qu’en est-il de son principal opposant ?

Le programme d’Emmanuel Macron

Dans le programme du président-candidat les femmes tiennent une petite place (page 11). Petite, car dans les faits peu de choses sont proposées :

« Mettre en œuvre le doublement de la présence des forces de l’ordre dans les transports aux moments critiques et le triplement de l’amende contre le harcèlement de rue, pour la sécurité des femmes. »

« Mise en œuvre du recrutement de 1 500 cyberpatrouilleurs.« 

« Mise en place d’un numéro joignable en permanence pour être conseillé et accompagné.« 

« La possibilité de déposer plainte en ligne pour de nombreux délits
(piratages de carte bancaire, vols…) sans plus avoir besoin d’aller au commissariat.« 

Les mesures plairont ou pas, à minima, il y a des mesures concrètes expliquées. Son programme s’accompagne également de son bagage présidentiel : qu’a-t-il fait durant son quinquennat ?

Le bilan du quinquennat

Durant ses cinq années à la tête de l’Etat, Emmanuel Macron a ouvert la PMA pour toutes, a créé une loi contre les violences conjugales et un outrage sexiste (amende allant de 90 à 750 euros, voir 1500 en cas de récidive). Il a également doublé le budget du ministère et créé un « index à l’égalité professionnelle« .

Des avancées majeures pour le droit des femmes. Alors pourquoi Emmanuel Macron ne semble pas être considéré comme un féministe ?

Le doublement du budget du ministère ne l’a fait passer qu’à 0.25% du budget global de l’Etat. De plus, il ne s’agit pas d’un ministère à proprement parler mais d’un secrétariat d’Etat délégué à un ministère. Conséquence ? Moins de pouvoir, moins de budget, moins de poids politique.

Les mesures mises en places peinent à être efficace. 140 000 violences conjugales par an (chiffre du ministère de l’intérieur) résultent à seulement 500 bracelets de rapprochement.

Les outrages sexistes semblent également inefficaces. Alors que 80% des femmes sont victimes de harcèlement de rue, 6 infractions par jour sur l’ensemble du territoire sont réellement constatées. Un chiffre important mais qui se situe bien loin de la réalité subie par les femmes.

Autre grande mesure du quinquennat : « l’index de l’égalité professionnelle« . Échec total sur le sujet. Le principe ? Examiner les entreprises qui ne paient pas les femmes et les hommes aux compétences égales de manière équitable.

Or, le dispositif ne se base que sur quelques indicateurs (4 à 5) si bien que selon les résultats obtenus, les entreprises françaises respecteraient l’égalité salariale avec un score moyen de 85/100. Comme le précise l’Huffington Post, il suffit par exemple à une entreprise d’augmenter une femme. Le montant de l’augmentation n’est pas pris en compte. Il devient donc possible de passer pour un bon élève aux yeux de l’Etat en augmentant une femme de 5 euros et un homme de 100 car après tout les deux ont été augmenté.

L’Huffington Post prend en exemple Air Liquide dont la note atteint les 99/100 (un très bon élève) mais a un écart moyen de 2000 euros entre les hommes et les femmes au sein de son entreprise…

Les mesures semblent bien plus représenter des arguments de communication que de réelles envies politiques.

Un thème délaissé ?

Le féminisme n’incarne pas le sujet le plus important pour les Français. Il ne serait que le 9ème enjeu de la présidentielle derrière : la santé, le pouvoir d’achat, l’insécurité, l’éducation, la précarité, les impôts, le chômage et le climat.

Seulement 23% des Français estimeraient le féminisme comme une cause déterminante dans leur vote au second tour et semble bien plus important pour l’électorat de gauche.

32% des votants de Jadot estimaient le féminisme comme déterminant contre seulement 19% pour les votants d’Emmanuel Macron ou 9 pour ceux de Valérie Pécresse.

Le féminisme ne semble donc pas avoir passé le premier tour et il ne reste qu’un choix cornélien entre la fin de l’IVG ou le féminisme de façade.