Parler de désir plutôt que de consentement, la (bonne) solution ?
« Il n’existe pas de consentement éclairé » : sans doute une des phrases qui nous marque le plus à la lecture du dernier ouvrage de la philosophe et psychanalyste Clotilde Leguil. En réalité, nous ne savons jamais à quoi nous consentons dans le cadre de la sexualité. Cette réflexion sur le consentement sexuel nous conduit à interroger sa place et sa pertinence. Si Clotilde Leguil explore la notion du consentement et met en lumière ses ambiguïtés; elle nous amène également a opérer un déplacement : ne faudrait-il pas parler de sexualité désirée plutôt que de sexualité consentie ? Et, dans cette perspective, de quel désir parle-t-on ?
Le dĂ©sir : c’est quoi ?
Si l’on souhaite faire du désir le « nouveau consentement » et la base d’une sexualité qui serait respectueuse de soi et de l’autre, encore faut-il savoir de quel désir il est question. Le désir, tout le monde sait ce que c’est, ou du moins, pense savoir ce que c’est. Dès que nous nous posons la question « qu’est-ce que le désir ? », nous sommes bien embêtés et bizarrement nous ne savons plus trop à quoi il se réfère : devons nous prendre le désir comme un besoin ? Parlons nous uniquement de désir sexuel ? Pourtant, tout désir n’est pas de l’ordre de la sexualité et assimiler le désir au besoin semble tout de même un peu réducteur. Explorons donc cette notion abstraite et ses différentes définitions pour essayer de mettre le doigt sur la bonne conception du désir. À savoir, une conception sur laquelle il serait souhaitable de fonder nos sexualités.
Le Larousse nous dit que le désir, c’est l’action de désirer (merci on n’aurait pas pu deviner), d’aspirer à avoir, à obtenir quelque chose. Au sens courant, le désir, c’est aussi l’appétit, la pulsion sexuelle. Il est un « élan physique conscient qui pousse quelqu’un à l’acte ou au plaisir sexuel », en d’autres termes, le désir sexuel c’est la libido. Or, faire de la libido le remplacement du consentement ne parait pas être une idée des plus brillante. Déjà , par ce qu’obéir à sa seule libido n’amène pas à prendre en compte son.sa partenaire, ensuite par ce qu’il parait difficile de savoir si l’autre ressent, réellement, du désir sexuel. Et finalement, même si c’était le cas, souhaitons-nous vraiment construire nos sexualités sur la pulsion ? La réponse est non et nous allons laisser Clotilde Leguil nous expliquer pourquoi : « La pulsion conduit à ne plus tenir compte du consentement de l’autre, ou à instrumentaliser ce consentement. »
Bon, notre cher Larousse nous ayant fait faux bond sur ce coup-là , tournons nous du coté de nos amis les philosophes qui se sont posé la question du désir bien avant nous. Selon la conception philosophique, le désir serait un souhait obsédant et impossible à satisfaire portant sur la possession de quelque chose. Le désir se définit comme un manque et a toujours un objet. Le dictionnaire de philo nous apprend que l’objet désiré est une chose que l’individu souhaite posséder, seules les choses que l’on peut posséder peuvent être objets de désir. Et là , nous avons un souci : selon cette conception on ne peut pas désirer quelqu’un sauf si on considère ce quelqu’un comme un objet que l’on possède. Nul besoin d’expliquer en quoi prendre son.sa partenaire pour un objet qui nous appartient semble très moyen sur le plan moral, éthique et humain. On n’y est toujours pas.
Continuons donc notre quête et mettons-nous à table avec Le Banquet de Platon pour qui le désir c’est le manque et l’incomplétude. En se référant au mythe de l’androgyne, le philosophe explique le désir sexuel : nous serions des êtres incomplets qui cherchons notre moitié, nous voulons reconstituer une totalité avec l’autre. Encore une fois, il semble compromis de fonder la sexualité sur cette conception du désir, par ce que (breaking news) nous sommes des êtres humains à part entière et réduire l’acte sexuel à une fusion avec l’autre reviendrait à nier nos individualités respectives.
Terminons par le très célèbre Kant pour qui le désir est toujours amoral car il ne vise que l’intérêt personnel de celui qui désire (donc si vous faites l’amour, ce n’est pas du tout pour du plaisir mutuel mais uniquement pour votre satisfaction personnelle, plutôt sympa Mr Kant). Le désir est égoïste et intéressé et est toujours hors de la morale (du point de vue Kantien, seules les actions désintéressées sont véritablement morales). Difficile donc de prendre la conception Kantienne du désir pour construire une sexualité ouverte à l’autre et dans laquelle le plaisir est partagé.
Qu’est-ce que cela nous apprend, hormis le fait que les philosophes auraient peut-être du songer aux antis-dépresseurs ? Eh bien, après ce petit tour rapide des différentes conceptions du désir, nous savons au moins de quel désir il n’est pas question si l’on veut en faire le « nouveau consentement ».
Le désir lacanien comme nouveau consentement ?
Mais alors comment faire du désir la base d’une sexualité respectueuse, à la fois de l’autre et de soi-même ? Il s’agit de le concevoir autrement que comme un besoin, un manque, une pulsion, ou comme synonyme de libido. Dans son ouvrage Céder n’est pas consentir, Clotilde Leguil reprend la perspective de Lacan sur le désir. Opposé à la vision pas très joyeuse des philosophes, le psychanalyste le réhabilite et lui donne une nouvelle valeur. Dans son séminaire l’Ethique de Psychanalyse, Jacques Lacan (1901-1981) formule l’impératif de « ne pas céder sur son désir », autrement dit, nous ne devrions jamais ignorer ou aller contre notre désir. Pour comprendre cette formule et cette conception, penchons-nous d’abord sur ce que le désir n’est pas.
Le désir lacanien se distingue de la pulsion qui désigne la « forme dynamique du besoin qui est presque instinctuelle (relatif à l’instinct) qui commande et oriente l’activité (notamment sexuelle) de l’individu. » En d’autres termes, le désir n’est pas tout ce dont nous avons envie, il n’est pas la tentation, ni la pulsion sexuelle. Le désir lacanien n’est donc pas la libido. Si c’était le cas, la conception de Lacan nous inviterait à ne jamais renoncer à nos envies, y compris quand la satisfaction de ces envies (ou pulsions) amène à jouir au détriment de son.sa partenaire.
Le désir ne doit ainsi pas être confondu avec la pulsion, celle-ci nous conduisant à ne pas tenir compte de l’autre et de son consentement. Comme le formule parfaitement Clotilde Leguil, « l’ode au désir de Lacan n’est pas une invitation à jouir sans entraves ».
C’est bien beau de comprendre ce que le dĂ©sir n’est pas, mais que nous dit Lacan sur ce qu’il est ? Le dĂ©sir serait fondamental et caractĂ©riserait la nature humaine. Grâce au dĂ©sir, nous persĂ©vĂ©rons dans notre ĂŞtre. Autrement dit, le dĂ©sir c’est ce qui fait que nous avançons dans la vie et que nous cherchons Ă nous amĂ©liorer en tant que personne. Le dĂ©sir c’est ce Ă quoi nous aspirons le plus intimement. Lacan nous invite Ă connaitre ce dĂ©sir qui nous constitue et Ă vivre et faire nos choix selon lui. Plus facile Ă dire qu’Ă faire, cette entreprise n’est pas un chemin de tout repos, puisqu’il s’agit de ne pas cĂ©der Ă ce qui lui fait obstacle (notamment aux pulsions). C’est ici que « ne pas cĂ©der sur son dĂ©sir » prend tout son sens : CĂ©der sur son dĂ©sir, c’est en fait cĂ©der Ă la tentation. Quand on cède Ă ses pulsions, quand on se range du cĂ´tĂ© de la « jouissance illimitĂ©e » et de la satisfaction de ses envies ou de ses besoins au dĂ©triment de l’autre, alors nous cĂ©dons sur notre dĂ©sir.
Céder sur son désir, c’est aussi se trahir soi-même et renoncer à son désir profond que l’on sacrifie pour le bien de l’autre. Céder sur son désir c’est ignorer la valeur de son désir au profit d’autres nécessités que l’on considère comme plus importantes. Exemple très parlant : votre partenaire souhaite faire l’amour avec vous ce soir. Vous n’avez au fond pas très envie d’une partie de jambe en l’air mais vous acceptez pour lui faire plaisir, ou pour avoir la paix. Et bien dans ce cas précis, vous céder sur votre désir.
Cette conception lacanienne permettrait de faire du dĂ©sir le fondement et le principe d’une sexualitĂ© dans laquelle nous respectons notre dĂ©sir et celui de nos partenaires (sous conditions qu’eux.elles non plus ne cèdent pas sur leur dĂ©sir). La prise en compte du dĂ©sir de l’autre, et donc de ce qu’il est, et le respect de notre propre dĂ©sir, compris comme ce que nous voulons au fond de nous-mĂŞme, amènerait Ă vivre une sexualitĂ© ouverte Ă l’autre. Une sexualitĂ© non auto-centrĂ©e, une sexualitĂ© respectueuse de celles et ceux qui enivrent nos nuits et parfument nos draps. Enfin et surtout, une sexualitĂ© en accord avec ce que nous voulons et ce que nous sommes.Â
Sources et Références :
Leguil, Clotilde. CĂ©der n’est pas consentir. Éditions Presses Universitaires de France. 2021.
Bonnefoy, Bruno. Kant- L’amoralitĂ© du dĂ©sir. Major Prepa. 14 Septembre 2019. URL : https://major-prepa.com/culture-generale/kant-amoralite-desir/:~:text=La%20thèse%20dĂ©fendue%20ici%20par%20Kant%20est%20donc,plaisir)%20du%20sujet%20dĂ©sirant.%20Le%20plan%20du%20texte
Petit, Philippe. Van Reeth, Adèle. Lacan : le désir dans tous ses états. France Culture. 12 Juillet 2013. URL : https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/lacan-le-desir-dans-tous-ses-etats
Van Reeth, Adèle. Les paradoxes du désir : Lacan et la destinée du désir. France Culture. 17 Juillet 2015. URL : https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/lacan-le-desir-dans-tous-ses-etats
Polacco, Michel. Le désir comme manque, une idée de Platon. France TV Info. 24 Juillet 2016. URL : https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-sens-de-l-info/le-desir-comme-manque-une-idee-de-platon_1787011.html
Treffel, Romain. Le désir selon Platon. 1000 idées de culture générale. URL : https://1000-idees-de-culture-generale.fr/desir-platon/
Himéros ou la Philosophie du Désir. La-Philosophie (en ligne). URL : https://la-philosophie.com/la-philosophie-du-desir#Le_manque_a_etre_selon_Platon
Le désir en philosophie. La-Philosophie (en ligne). URL : https://la-philosophie.com/desir-definition
DĂ©sir. Dans Dicophilo – Dictionnaire de philosophie en ligne (en ligne). URL : https://dicophilo.fr/definition/desir/
Pulsion. Dans Dictionnaire des sciences humaines. Éditions Nathan. 1990