La prostitution en France : un flou juridique dangereux ?

La situation des prostituées en France fait l’objet de nombreux débats : légalisation ? Interdiction ? Quelles sont les conséquences de cette indécision ? On vous explique !

Une situation floue

Il existe 4 modèles législatifs sur la prostitution dans le monde :

1. La prostitution légale : Pays-Bas, Mexique et certaines régions d’Australie et des Etats-Unis comme le Nevada)
2. La prostitution tolérée mais non-encadrée : Belgique, Pologne, Japon, Inde ou Argentine
3. La prostitution illégale mais où seuls les clients sont sanctionnés : France, Canada, Suède ou Norvège
4. La prostitution illégale pour tous : Russie, Chine, Egypte (les autres Etats Américains)

La France sanctionne uniquement le client (par une amende de 1500 euros). Ce dispositif n’empêche donc pas réellement la prostitution tout en ne l’encadrant pas : conséquences ? Un double impact négatif pour les praticiennes du sexe.

Samantha, une prostituée, expliquait pour France info ses conditions de travail compliquées et dangereuses :

• La baisse de client : « Ça devient très compliqué. Ça m’arrive de faire l’aumône pour manger. Ça m’arrive parfois de faire un, voire deux clients par mois. »
• La hausse des risques : « Les clients négocient, demandent sans capote etc. Ils sont plus violents. Du fait de la pénalisation du client, ils estiment que comme ils sont plus rares, que l’on fait moins de passes et que l’on gagne moins d’argent, on n’a pas d’autre choix que de les accepter»

La dangerosité de la profession se confirme dans les chiffres. Selon égalité-femmes-hommes.gouv, 38% des femmes dans ce milieu ont subi un viol et 29% d’entre elles auraient des pensées suicidaires.

Véritable marché noir, la France compte entre 30 000 et 50 000 prostituées dont 93% sont étrangères. Entre 7 000 et 10 000 mineurs seraient concernées par la prostitution…

L’abolition : la solution ?

Avec un tel bilan, des associations tentent de faire abolir la prostitution. « Le mouvement du Nid« , par exemple, dispose d’un programme de réinsertion qui depuis 2017 a aidé 161 péripatéticiennes à trouver un CDI.

L’inconvénient de l’abolition ? Elle n’arrête pas réellement la prostitution. L’interdiction du commerce sexuel légal permet l’émergence de marché noir. Au Japon, par exemple, une loi interdisant strictement la pratique avait été signée en 1956. Depuis, deux raisons ont poussé l’Etat à être moins sévère et à encadrer d’avantage la profession :

• La création de marché noir et de réseaux clandestins : au sein duquel les conditions de travail, d’hygiène, d’âges (la prostitution d’adolescentes scolarisées notamment) et de consentements n’étaient pas toujours respectées.
• Une perte d’argent : légaliser un marché revient à percevoir des taxes. L’Etat japonais a pu constater que même en interdisant la pratique, un marché parallèle s’organisait. Alors si la prostitution doit obligatoirement exister, autant l’encadrer et percevoir des taxes (19 millions d’euros en 2009)

La légalisation : la solution ?

La légalisation de la prostitution permettrait d’améliorer drastiquement les conditions de travail des péripatéticiennes. Deux exemples viennent confirmer l’importance d’un cadre légal.

« Le capotier » distributeur de sécurité

Le capotier ou Jérôme Bénozillo a créé un service de livraison de préservatifs pour les prostituées dans la région lyonnaise.

Après avoir échoué dans la vente de capotes à des buralistes, M. Bénozillo s’était tourné vers celles qui en auraient le plus besoin :  « Alors je me suis dit que j’allais les donner à celles qui en avaient le plus besoin. Puis une fille m’a demandé si je pouvais lui en vendre ! »

D’autres produits complètent les ventes du Capotier : du lubrifiant, des lingettes, des serviettes, etc. Le livreur de sécurité participe au confort physique et moral des professionnelles du sexe :  « Ce n’est pas banal d’avoir passé presque 20 ans chez les prostituées. Je m’y accroche, à ces nanas. J’ai bien sympathisé avec nombre d’entre elles, on a passé des moments extraordinaires. Elles ont des histoires incroyables. Je suis content du rôle social que je joue. »

Malheureusement, après 20 ans de bons et loyaux services, Le capotier se retirera au maximum en 2023 et n’a toujours pas trouvé de remplaçant. Actuellement, il est le seul distributeur de préservatif de France…

Au cours de sa carrière Jérôme Bénozillo a constaté la violence faites aux professionnelles et a même été agressé à plusieurs reprises : « Quand je faisais des tournées de nuit, je scrutais mes rétroviseurs. Plusieurs fois, j’ai vu des voitures qui me suivaient. Les filles ne me paient qu’en cash, alors forcément. »

Cette situation n’existerait pas si un cadre légal était déployé comme aux Pays-Bas.

Une innovation aux Pays-Bas

Les Pays-Bas ont légalisé la prostitution depuis 2000 et ce cadre légal permet de mieux sécuriser les professionnelles.

Le site Ugly Mugs NL (sale tête Netherlands) permet aux prostituées de dénoncer des clients agressifs. Ils seront alors fichés dans l’application et cela offrira l’opportunité aux vendeuses de géolocaliser un client dangereux non loin d’elles ou d’avoir accès à l’historique d’un client afin de ne pas prendre rendez-vous avec (s’il présente des antécédents).

La légalisation : une solution miracle ?

La légalisation comporte de nombreux avantages :

• Des avantages pratiques : des meilleures conditions de travail et d’hygiène.
• Des avantages sociaux : la prostitution serait reconnue comme un vrai métier et les professionnelles pourraient cotiser pour la retraite, présenter des fiches de paies pour un prêt (problématique soulevée par le film Une femme du monde)
• Des avantages financiers : avec un métier officiellement reconnu, les établissements devraient payer des taxes, les praticiennes payeraient des impôts, etc.

En 2013, Frédéric Beigbeder et Nicolas Bedos, entre autres, signaient « Le manifeste des 343 salauds ». Le texte appelait à la règlementation du secteur et condamnait le proxénétisme. Le manifeste relevait entre autres l’absurdité de condamner un client d’une pratique non interdite : « Punir ce qui n’est pas interdit, ça laisse rêveur. »

La légalisation présente des avantages majeurs mais n’efface pas non plus totalement les inconvénients.

Les Pays-bas, où la prostitution semble être la mieux encadrée au monde, voient augmenter les victimes de violences et le développement du marché noir. Les chiffres restent bien inférieurs de ceux afficher ailleurs en Europe mais ils restent tout de même alarmant. 3 000 mineures se prostitueraient illégalement aux Pays-Bas soit (minimum) 4 000 de moins qu’en France.

La légalisation a permis de réduire le nombre de prostituées étrangères passant de 80% en 1999 à 60% en 2009. Une baisse importante mais qui ne représente pas pour autant une disparition de l’exploitation sexuelle des migrants.

Il n’existe donc pas de solution miracle pour empêcher les marchés noirs. Si les opinions divergent entre ceux pour l’abolition et ceux pour la législation, les deux camps possèdent une opinion commune : changer la loi en France et vite !