Sexologue : faut-il réglementer la profession ?

La sexologie est une discipline récente. Si l’on trouve des pionners du domaine vers la fin du XIXème en Autriche et Allemagne, le terme ne se démocratise réellement qu’en 1960. Il s »applique alors aux professionnels qui tentent de déterminer, d’accompagner, voire de combattre les pathologies associées à la santé sexuelle. Éjaculation précoce, anorgasmie, addiction sexuelle, panne d’érection… les motifs de consultation se multiplient depuis 60 ans et le secteur d’activité ne cesse de croitre. Seulement, la profession n’est toujours pas réglementée en France et les dérives se multiplient.

Qui sont les sexologues français ?

Tout le monde peut être sexologue, avec ou sans diplôme, la profession n’est pas réglementée en France, ni en Europe.

Dans la pratique, en France, une grande étude menée par l’INSERM en 1999 déterminait que la profession était occupée à majorité par des médecins masculins « La France était le seul pays européen où la sexologie était autant médicalisée. La profession était composée de deux tiers d’hommes et la majorité des professionnels avait suivi des enseignements en sexologie, tout en ne la pratiquant pas à temps plein. » expliquait Alain Giami à l’origine de la recherche. La surreprésentation masculine dans cette profession est également une spécificité française à l’échelle européenne.

« La majorité des sexologues travaillant en Europe sont des femmes non-médecins, sauf en France où la profession est plutôt masculine et médicale. » source INSERM

Un métier à majorité médical, masculin, en partie propulsé fin des années 90 par l’arrivée du Viagra sur le marché de la santé sexuelle, un produit novateur qui séduit les consommateurs. Alain Giami reconnait l’influence massive de ce médicament au sein de la profession : « Les laboratoires pharmaceutiques voulaient faire des sexologues des key opinion leaders. Pfizer a mis sur pied tout un programme de formation pour que les sexologues forment ensuite une partie des quelque 80 000 médecins généralistes. Le Viagra a contribué au développement de la sexologie en donnant des moyens pour organiser des congrès, en soutenant la formation scientifique des sexologues.« 

Les dérives possibles des nouveaux métiers du sexe

Au-delà de la question autour de la médicalisation systématique de supposés problèmes sexuels (faut-il ou non prescrire des pilules pour avoir à tout prix une meilleure libido ? Les éjaculations dites « précoces » sont-elles un problème de santé ?), la nature du discours, des actes et des méthodes utilisées varie énormément d’un praticien à l’autre.

Alain Giami pose également la question de la sexualisation, floue, autour de la consultation. »La question est d’établir la différence entre actes cliniques et viol. C’est le problème central à la fois de la médecine et de la sexologie : jusqu’où le contact avec les organes génitaux est-il légitime ou pas ? »

Une question qui aura été à l’origine d’un scandale national en 2002 : Gilbert Tordjman, ancien président de l’Association mondiale pour la sexologie, en France, est accusé de viol par sept anciennes patientes. Le magazine Le Point sort alors une grande enquête : « Sexologie. Enquête sur une profession suspecte ».

Pour Nikita Matras, journaliste au sein du magazine Néon, spécialiste des charlatans du sexe, ces dérives se sont multipliées ces dernières années : « Cela fait huit ans que je travaille sur ces thématiques. Et depuis quatre-cinq ans, je vois apparaitre une multiplication de thérapie douce, de massages et stages pour développer une compétence sexuelle. Cela fait écho au trop grand nombre de femmes qui n’ont pas de plaisir au lit et qui trouvent sur internet une injonction à avoir du plaisir. Elles poussent alors la porte de sexologue, veulent explorer leur sexualité, tout en se sentant parfois « border » sur la question du consentement.« 

Nikita Matras a notamment signé une enquêté glaçante dans Néon sur les dessous révélant des cas agressions sexuelles, voire de viols, par un cabinet du XVIème arrondissement de Paris tenu par un prétendu sexologue.

Entre surmédicalisation et absence d’encadrement, la profession de sexologue trouvera-t-elle une place légitime, saine et sécurisante ?
En 2022, il serait temps de se pencher sur la question…