Éjaculation féminine : un mystère aussi bien protégé que le clitoris ?
En lisant le dernier livre de StĂ©phanie Haerdle « Fontaines », (paru le 8 avril 2021 aux Ă©ditions Lux) on serait tentĂ© de comparer l’histoire du clitoris avec celle de l’Ă©jaculation fĂ©minine tant les deux se rejoignent sur les mythes et l’invisibilisation scientifique qui les entourent. PortĂ©e aux nues Ă l’AntiquitĂ© et au Moyen-Ă‚ge, l’Ă©jaculation fĂ©minine a disparu au XIXème, pour revenir comme un gadget obscène (voire fantastique) dans les films porno.
Alors, Ă quand l’Ă©jaculation fĂ©minine dans les livres de SVT ?
Le mythe des deux semences
Dans les textes anciens de l’AntiquitĂ©, la thĂ©orie des deux semences a longtemps expliquĂ© la façon avec laquelle nous nous reproduisions. La femme comme l’homme mĂ©langeaient leurs fluides durant la copulation ; si l’enfant ressemblait Ă la mère, c’Ă©tait que son fluide s’imposait sur l’autre, et inversement si l’enfant ressemblait au père. Une croyance qui encouragea et favorisa le plaisir fĂ©minin, la lubrification et l’Ă©jaculation durant l’acte sexuel – des Ă©lĂ©ments considĂ©rĂ©s comme indispensables Ă la reproduction, et de façon plus gĂ©nĂ©rale, Ă la bonne santĂ© du couple.
De nombreux scientifiques, anatomistes et philosophes ont Ă©mis des suppositions alternatives au cours des siècles, mais c’est rĂ©ellement au XVIIIème siècle que le corps de la femme perd de sa superbe. Les anatomistes le distinguent du masculin, en comprennent ses singularitĂ©s, dĂ©couvrent l’ovule, et en dĂ©duisent son principe actif dans la reproduction.
« La pratique de l’autopsie étant de plus en plus fréquente, l’anatomie s’introduit au plus profond du corps humain. Elle devient le principal instrument cognitif de la biologie et de la médecine, la grande initiatrice de nouvelles idées. Les savants s’appuient sur ces connaissances anatomiques et physiologiques toutes neuves pour livrer un nouveau récit sur le corps, le réinterpréter. Le « corps magique » – idée associée pendant des siècles au corps de la femme – est peu à peu démystifié. » (Fontaines, Stéphanie Haerdle)
Fin XVIIIème, le mot testicule disparait du corps fĂ©minin au profit d’ovaires. L’Ă©jaculat fĂ©minin perd le titre de « semence », et devient au mieux une simple lubrification au pire une pollution nocturne. Quant au plaisir fĂ©minin, s’il est encore recommandĂ© jusqu’au milieu du XIXème siècle, il tombera petit Ă petit en dĂ©suĂ©tude et sera considĂ©rĂ© comme un simple accident de la reproduction. Tout Ă fait facultatif.
L’Ă©jaculation fĂ©minine en 2021
Après une invisibilisation plus ou moins consciente et assumĂ©e dans les livres scientifiques sur la sexualitĂ©, l’Ă©jaculation fĂ©minine revient sur le devant de la scène fin des annĂ©es 80 grâce au porno. Le squirting (qui ne peut pas ĂŞtre confondu avec l’Ă©jaculation – mais qui a le mĂ©rite de prĂ©senter les liquides fĂ©minins) fascine, et s’offre une catĂ©gorie dĂ©diĂ©e sur la plupart des sites X, une popularitĂ© qui le montera au sommet du top 20 de la plus cĂ©lèbre plateforme pour adulte : Pornhub. Si certains pensent qu’il s’agit de scènes « trafiquĂ©es », l’Ă©jaculation fĂ©minine semble cependant gagner un regain d’intĂ©rĂŞt dans les mĂ©dias depuis les annĂ©es 2000.
La question n’est pas de savoir si l’éjaculation féminine existe. Il s’agit de savoir pourquoi on ne croit pas les femmes qui en parlent.
Lux Alptraum
Recommencer Ă parler d’Ă©jaculation et de prostate fĂ©minine – des capacitĂ©s et des organes qui ont des similitudes avec le masculin – c’est aussi remettre du sens sur nos sexualitĂ©s en se rappelant de nos bases communes, embryonnaires, sans pour autant nier nos spĂ©cificitĂ©s.
A l’instar d’Odile Fillod qui a permis la popularisation de la forme complète du clitoris (avec ses piliers et ses bulbes) via une imprimante 3D et un code en open source, accessible par tous : il est tout Ă fait possible d’imaginer une nouvelle façon de diffuser les savoirs sur l’Ă©jaculation fĂ©minine.
Et se rappeler, au passage, que l’Ă©jaculation, si elle est possible, n’est jamais un dĂ».
« L’éjaculation est une manifestation possible, parmi de nombreuses autres, de la puissance sexuelle féminine. Elle ne doit pas devenir une injonction de plus faite aux femmes. » (P.246, Fontaines, Stéphanie Haerdle).