Chemsexe : « Quand on a goĂ»tĂ© Ă une intensitĂ© pareille, ça peut concerner tout le monde. » – Entretien avec Johann Zarca
Chemsexe : décryptage du sexe sous drogues
Sommaire du dossierLe 17 fĂ©vrier dernier, l’auteur Johann Zarca publie son dernier roman « Chems » entre fiction et rĂ©alitĂ©, nous suivons les pĂ©ripĂ©ties de Zède, journaliste enquĂŞtant sur le phĂ©nomène du chemsexe. FascinĂ© par cet univers, il bascule progressivement dans les travers de cette pratique mĂŞlant sexualitĂ© intense et drogues de synthèse.
Ancien consommateur, l’Ă©crivain spĂ©cialiste des milieux underground nous parle du chemsexe, des addictions et de son expĂ©rience.
Sexe en France : Pourquoi avoir mis ce sujet sur la table ?
Johann Zarca : Je pense en rĂ©alitĂ© que ça dĂ©coule d’un processus. Ce n’est pas venu d’un coup, j’ai Ă©tĂ© directement touchĂ© par le chemsex, je ne suis pas le narrateur de Chems mais je m’en rapproche. J’ai consommĂ© ces produits et ça m’a affectĂ©. J’ai dĂ©couvert ce microcosme Ă travers le personnage qui a inspirĂ© Dumont, un travailleur du sexe. J’ai passĂ© beaucoup de temps avec un consommateur, j’ai assistĂ© aux partouzes, aux plans fist, Ă la conso. Je me suis retrouvĂ© immergĂ© dans cet univers, surtout en tant qu’observateur. J’ai trouvĂ© que c’était un milieu de dingue. C’était il y a quelques annĂ©es et le chemsex n’avait pas pris l’ampleur qu’il a aujourd’hui. Presque tous mes livres traitent du sexe et des drogues, ce sont des thĂ©matiques qui me touchent directement, les obsessions, les addictions, les compulsions etc.Â
Sexe en France : Vous avez donc décidé d’en faire un livre ?
Johann Zarca : D’un point de vu litteraire c’était un matĂ©riau de fond fascinant. Entre temps j’ai vu de plus en plus de gens tomber dans le Chemsex, on a commencĂ© Ă en parler dans les mĂ©dias et c’était comme une Ă©vidence, c’était logique que j’aborde ce sujet la après Paname Underground et Le boss de Boulogne dans lesquels on retrouve les mĂŞme thĂ©matiques. J’ai une vraie fascination pour les univers en marge, je ne saurais pas l’expliquer, ces mondes me sautent Ă la gueule. Je ne choisis pas ces thĂ©matiques pour le cotĂ© raccoleur. Je suis tout le temps sur des personnages qui perdent leur combat contre leur corps. Leur pulsions, leur obsessions sont toujours plus fortes qu’eux. C’est un peu le combat de ma vie, donc fatalement je me dirige vers ce type de sujet.Â
Sexe en France : Comment expliquez vous cette portée médiatique pour ce phénomène dont on entendais peu parler ?
Johann Zarca : Je pense que ça n’est pas si marginal, c’est plus qu’un Ă©piphĂ©nomène. La pratique s’est gĂ©nĂ©ralisĂ©e, elle commence Ă s’ouvrir aux milieux hĂ©tĂ©rosexuels. On en parle plus dans la communautĂ© gay, par ce que ce sont en majoritĂ© les associations LGBT qui on pris en charge ce problème.Â
De plus, c’est un sujet qui a Ă©tĂ© traitĂ© dans le milieu artistique, des pièces de théâtre, des films et des documentaires ont Ă©tĂ© produits. Puis avec mon livre, c’est la première fiction autour de cet univers. Tous ces Ă©lĂ©ments ont, je pense, portĂ© la lumière sur un sujet dont on entendais pas parler.Â
Sexe en France : Le chemsexe est lié aux milieux homosexuels, vous comparez ce phénomène à la vague de Sida des années 80, pourquoi ?
Johann Zarca : Je n’ai pas Ă©tait le seul Ă faire cette corrĂ©lation. On parle de «SIDA numĂ©ro 2» par ce qu’au dĂ©but la maladie touchait la communautĂ© gay et d’un coup, on s’est aperçu que ce n’Ă©tait pas une problĂ©matique liĂ©e uniquement aux sphères homosexuelles : le SIDA concernait aussi les heteros.
Le chemsex c’est un peu la même chose, tant que c’est cantonné aux milieux gays on ne s’y intéresse pas beaucoup. Et puis d’un coup la pratique se répand chez les hétéros et on en parle. Avant le fléau c’était le Sida, aujourd’hui c’est le chemsexe. Il y a plus de morts par overdose que de mort à cause du VIH en France. Des overdoses, des gens qui partent en cure, il y en a tout les mois si ce n’est toutes les semaines.
Sexe en France : Zède est hetero, c’était pour casser l’image d’une pratique exclusivement réservée aux sphères homosexuelles ?
Johann Zarca : Alors non pour le coup ce n’était pas autant réfléchi, il n’y avait pas de stratégie. Il me fallait un narrateur proche de moi, ça me permet de le rendre plus crédible. Zède ce n’est pas moi, mais on partage des traits communs. Cela me permet d’apporter une authenticité. La trame de Chems se rapproche de mon histoire sans pour autant être une biographie.
Sexe en France : Cette pratique pourrait-elle tout.e.s nous concerner ?
Johann Zarca : Le chemsex est une pratique intense et on est dans une société de l’intensité. Or, dans le chemsex, on est vraiment dans la jouissance multipliée par 20. Donc oui je pense que tout le monde peut être à risque et peut être touché par ce phénomène. Quand on a goûté à une intensité pareille, ça peut tous nous concerner.
Sexe en France : Chems, vous l’avez écrit dans un but de prévention ?
Johann Zarca : Au début, non. Il y a eu une fascination de départ, ça m’a touché personnellement dans mes problématiques individuelles, puis c’est devenu un phénomène. Il n’y avait aucune logique de prévention derrière.
Certains lecteurs sont fascinĂ©s, d’autres ont envie de tester une fois, certains le prennent effectivement comme de la prĂ©vention radicale mais on peut aussi le percevoir comme de l’apologie : je parle des produits, j’explique comment ça fonctionne. Moi je l’écrit de manière brute et les lecteurs font ce qu’ils veulent de l’histoire. C’était ma position au moment oĂą je l’ai Ă©crit.Â
Aujourd’hui, je le vois beaucoup plus de manière préventive. Je me dis que c’est un peu trop facile de se planquer derrière la fiction et de se dire « je m’en fiche faites ce que vous voulez »,.
Il y a énormément de risques : les overdoses, les dégâts psychiques, l’isolement, la paranoïa, le manque de protection qui augmentent le risque de choper des IST et ça plombe la sexualité. Quant on vécu ces orgasmes démultipliés, ce niveau de kiff, cette jouissance extrême, le coït sans produits, avec une seule personne parait fade. Il faut un temps pour retrouver une vie sexuelle normale, ça déglingue tellement la sexualité on est obligé de se ré-éduquer, parfois ça peut prendre des années. Mais on peut retrouver sa sexualité.
Au début, je parlais de phénomène aujourd’hui je parlerais du chemsex comme d’un fléau.